Creuser le noir corporate et en faire sortir une lumière, une vérité blafarde sur tous ces suckers.


Archives

Silencio : savourer le non-dit

« Le hypeux contemporain a ceci de particulier qu’il éprouve en toutes circonstances le besoin quasi névrotique de s’exprimer selon une graduation binaire : que ce soit par l’image ou par le verbe, le hypeux jongle perpétuellement entre un “premier” et un “second” degré, réduisant ainsi à leur plus simple expression toutes les subtilités du langage (sens littéral, figuré, symbolique, allégorique, etc.). Comme par un jeu de miroirs, ces deux registres formels se répondent l’un à l’autre et sont dé-multipliables à l’infini, comme autant de combinaisons binaires d’un “dialecte” propre à la hype ; dialecte qui s’avère immanquablement abscons et pathétique.

Prenant appui sur cette base linguistique, le hypeux alimente un discours illimité, avide, mouvant et sans dimensions, qui n’est ni profond ni superficiel : un discours de l’affect, qui dit tout mais ne révèle rien ; un discours qui en appelle un autre. Jusqu’à l’Ennui. En d’autres termes, le hypeux a fait du langage publicitaire son langage quotidien : non pas celui d’une chimérique subversion artistique post-warholienne, mais celui d’une sur-communicabilité obsessionnelle ; c’est-à-dire celui d’une non-communicabilité absolue, à laquelle échappe définitivement l’essentiel ; à laquelle est soustrait le non-dit.

Le hypeux ne se donne pas d’autre alternative que l’épuisement du langage. Quand bien même il cherche à suggérer ou à nuancer, il ne fait rien d’autre que dire, re-dire et sur-dire, sans aucune retenue, comme l’acteur maladroit ou mégalomane sur-joue son rôle. Et lorsque la hype étend son influence diffuse à l’ensemble de la société, comme par contamination virale, ce langage aussi outrancier que frustrant est appelé à devenir notre propre langage quotidien.

“What you don’t know matters most” : d’une courte phrase tout est dit… Enoncé par Bret Easton Ellis dans Glamorama, cet aphorisme lourd de sens réapparaîtra sans doute un jour sur une affiche publicitaire, recyclé et vidé de sa substance par le langage “post-hype” : un slogan parmi d’autres, qu’on nous demandera dès lors de lire – indifféremment – au “premier” ou au “second” degré. »