BLANCKART ? UN CASSEUR !
" Olivier Blanckart, agitateur tout-terrain
Jugeant inéquitable le traitement des arts par la société, cet artiste combattant dérange en retournant contre elle les icônes qu'elle produit.
Il s'appelle Olivier Blanckart. Il s'appelle aussi Jean-Paul Sartre, Fabien Barthez, Guy Debord, Yves Klein, Joseph Beuys, Philippe Sollers et Elton John. Du premier il a le strabisme et la pipe, du deuxième la calvitie et le maillot, du troisième l'air d'un moine, et ainsi de suite.C'est selon les circonstances. Olivier Blanckart a inventé le transformisme citationnel artistique.
Explication : l'apparence de ces grands hommes est connue de tous par quelques photographies reproduites à l'infini. Blanckart les refait. Il se change en Sartre, tel que le philosophe a été fixé par Henri Cartier-Bresson sur le pont des Arts. Il trouve la paire de lunettes convenable. Il cherche la pipe la plus ressemblante possible.
Aussi Blanckart a-t-il eu longtemps la mauvaise réputation de ne pas être un artiste sérieux, mais un énergumène vulgaire encombrant. En 1998, il provoque un incident diplomatique entre le Luxembourg et la France pour avoir exposé au Casino Luxembourg Le Bity, représentation scabreuse de Jacques Chirac. En 1999, il surprend la Biennale de Venise en parcourant les canaux sur une embarcation en forme de phallus. En 2000, il assiste à une conférence de presse de Catherine Trautmann, alors ministre de la culture, costumé en Coluche et tenant un panneau où il avait écrit "Vive le syndicat !". On imagine l'agacement des institutionnels.
Lesquels ont tout essayé pour régler le cas Blanckart : les menaces de procès et les propositions d'exposition, le mépris et la douceur. En pure perte. Sur ce sujet, Blanckart est infatigable : pétitions, tracts, collectifs, affiches sont au nombre de ses spécialités, servies par un style polémique qui fait mal. Une lettre ouverte à la délégation aux arts plastiques est intitulée : "Plus que l'inaction et moins que le mouvement : ramper"...
Irréductible opposant, il voit aujourd'hui dans le Palais de Tokyo le siège de "la bourriaud-cratie (du nom de Nicolas Bourriaud, codirecteur dudit Palais) qui chasse en meute". "Ce n'est pas la présence de l'Etat dans l'art qui me gêne, ni la compétition entre artistes, mais le fait que sa politique en matière de création manque absolument d'équanimité. La génération des artistes qui ont aujourd'hui autour de 60 ans a été vaporisée dans l'artosphère. Encore, dans les années 1980, a-t-on exposé les artistes de Supports/Surfaces. Ensuite, le pouvoir a été pris par un groupe et il ne l'a plus lâché. C'est très français, cette manière d'agir : on chasse entre soi, entre anciens élèves d'une même école d'art par exemple. Alors quand, comme moi, on n'est passé par aucune école... Dès que je suis arrivé à Paris, je me suis heurté de plein fouet à ce système."
Quand il arrive à Paris, en 1991, il a derrière lui une initiation aux techniques de la photo, une large expérience de la lutte antinucléaire, un CAP de plombier-chauffagiste- "Ça me sert, cette formation"-, toutes sortes d'emplois temporaires, quelques rencontres délicates avec les forces de l'ordre et la justice et un désir d'aller vers l'art si fort qu'il a ouvert une galerie à Saint-Saturnin-lès-Apt (Vaucluse) en 1983 - "sa base arrière" à l'époque, "avant que le village ne soit à la mode", précise-t-il -, suivie d'une deuxième, en 1989, sans plus de succès. Trois ans après, à Paris, il fonde la Galerie des Urgences, qui n'est pas une galerie mais une structure d'information sur le sida. L'affiche L'art contre le sida ne sert à rien : mettez des capotes, c'est lui. Pourquoi un artiste n'interviendrait-il pas dans la société où il vit, pour l'inquiéter à défaut de pouvoir la changer ?
Les pseudo-portraits sont une manière de l'inquiéter, en pervertissant l'imagerie publique, en mettant en évidence les codes de représentation et de propagande. Les sculptures en Scotch en sont une autre, plus spectaculaire."
Philippe Dagen Le Monde Interactif 08/04/2002
Creuser le noir corporate et en faire sortir une lumière, une vérité blafarde sur tous ces suckers.