Creuser le noir corporate et en faire sortir une lumière, une vérité blafarde sur tous ces suckers.


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4/22/2002

Lofstory. Histoire de perdre dix précieuses minutes avec ce truc – dix, pas une de plus. Certains font l'apologie de cette sous-merde télévisuelle aux motifs que les travers dénoncés sont ceux de la société toute entière, et que les médias qui dénigrent volontiers l'émission font l'impasse sur d'autres phénomènes plus intéressants qui se déroulent entre la bande d'idiots qui s'enferme là-dedans. Bref ils estiment s’assumer en tant qu’occidental gras et sensible, tolérant et éveillé.

Au nom, donc, de la "tolérance".

J'ai rarement lu un tel empilement de fadeurs, sur la tolérance ou le respect, tels qu'ils seraient manifestés dans ce four à connerie webcamisé. Cette tolérance, ce respect à deux balles dont ils parlent, en mettant en scène le touchant échange entre un homo refoulé et un arabe caricatural, voilà bien ce que les programmateurs de M6 et les zélateurs de ce genre de sous-produit anésthésiant mettent en avant pour cautionner la non-culture qu'ils enfoncent dans la gorge de millions de gens.

Loana est une sensible ? Mais voyons, le pays est rempli de filles sensibles, on en croise tous les jours dans les rues, les bus sont pleins de filles sensibles, y a des milliers de filles sensibles qui votent (parfois avec moins de sensiblerie…), qui pissent dans les toilettes publiques ou qui voyagent en première classe... mais je ne vois pas pourquoi ce serait le prétexte à la surexposition médiatique et à la surexploitation commerciale d'une demeurée comme Loana. Chic fille peut-être, mais elle a deux grelots dans le crâne et je regrette qu'on l'érige en "star". D'autant que la pouf au grand coeur, ça n'est jamais qu'un des éléments du casting, et pas une "découverte" au fur et à mesure des épisodes...

Loftstory est un festival de clichés dégoulinants, et il faut être particulièrement bouché pour y voir autre chose qu'un affligeant spectacle populiste. Les amateurs du genre soulignent que le cul est un produit d'appel universel, qu'il est transversal dans les sociétés occidentales, qu'il est donc injuste de faire ce procès à Loftstory alors que c'est une hypocrisie générale. Fort bien, le constat est juste, mais la conclusion complètement conne ; leur raisonnement est vicieux, puisqu'il consiste à amoindrir la déplorable merde audivisuelle proposée et starisée au motif qu'elle est aussi vendue ailleurs, en librairie, ou au cinéma. Désolé mais la surexposition médiatique de Bofstory en fait un symptôme particulièrement pertinent de l'époque, et le fait que Claudia Schiffer montre son cul en 4x3 dans le métro ne suffit pas à masquer l'entreprise de décérébration à laquelle se livre M6 (ou quelle que soit la chaîne). Le cul est un produit d'appel, c'est évident, mais il l'est PARTICULIÈREMENT dans Lofstory. La seule réalité intéressante dans ce truc imbécile, c'est que les participants n'ont ni livre, ni crayon, ni papier, ni musique, bref aucune distraction ni aucun élément d'édification, qu'ils sont laissés seuls face à eux-mêmes, et que l'espoir caressé par les producteurs comme par les spectateurs, est qu'ils s'engueulent ou qu'ils s'enculent. C'est la seule alternative qui est proposée, et la seule que les téléspectateurs souhaitent voir.

Mais cette hypocrisie est masquée par le discours démago des producteurs et de quelques buses qui ont manifestement passé trop de temps devant leur télé. Si bozo s'imagine que les relations humaines sont faites de cela et de cela seulement, si bozo y voit un exemple de tolérance et de respect, il n'y a plus grand chose à faire pour lui.

Sinon lui expliquer trois choses :

- Il finit malgré lui par cautionner la stratégie des programmateurs télé : on vend de la merde, on répand de la merde, du facile, du beauf, bref on fait du populisme, de la démagogie, et si quelqu'un vient crier à la lobotomie, si de beaux esprits ramènent leur fraise avec l'abrutissement des masses, on leur expliquera qu'on vend ce que veulent les gens, qu'on leur donne ce qu'ils demandent, que c'est la démocratie, et qu'il faut respecter leur choix. On saupoudrera le tout avec un couplet fade sur la tolérance et le respect, et on concluera que ces beaux esprits sont élitistes, peine-à-jouir ou carrément fascistes.

- Les chaînes télévisées produisent de la merde décérébrante au kilomètre, elles orchestrent un vaste abrutissement général, un nivellement par le bas, une lobotomie à la tronçonneuse des troupeaux de busards qui bavent de vacuité devant leur lucarne, tout ça sous la caution du divertissement populaire et du goût du public. Alors libre à quiconque de regarder ces daubes, on n'a pas forcément tous la disponibilité intellectuelle ou l'énergie pour bouquiner ou mater un film au lieu de ça, mais il faudrait éviter de jouer l'occidental moyen bien dans son époque et fier des étrons qu'on lui propose. Ou alors on mérite vraiment sa télé.

- le vice intrinsèque de cette real-tv chiasseuse, c'est d'avoir inversé un rapport de valeurs : Il y a eu une époque ou pour être médiatisé, il fallait avoir un mérite, quel qu'il soit. Aujourd'hui, c'est cette seule médiatisation qui confère du mérite. En principe donc, tu ponds un bouquin, tu chante une chanson avec l'accent québecois, tu peints des poupées énucléées en bleu et tu les guillotine au Palais de Tokyo, bref tu fais un truc, et tu passes à la télévision, parce que ce que tu fais a suffisamment d'intérêt pour être ainsi médiatisé, ou au moins la maison de disque ou ton agent "artistique" se démerde pour que tu y passes malgré ton talent limité (on en a vu, des chanteuses, des artistes, des auteurs "limités"...) Mais dans tous les cas de figure, tu as un "mérite", pas forcément artistique mais au moins empirique, tu as pondu quelque chose, et ensuite seulement, tu es médiatisé.

Cas real TV : au contraire, t'es un parfait balbusard, un anonyme aussi peu intéressant qu'un fan de tuning de St Dizier, mais tu correspond au casting d'un Alex de Gemini. Alors bien que tu n'aies aucun mérite particulier, hop, tu passes à la télé. Tu te fais tringler dans une piscine ou du chantes faux dans un manoir... Et ensuite, Jean-Robert mixe à Ibiza et Loana "écrit" une autobiographie. Bref la production, merdique elle aussi, est consécutive à la médiatisation. Le processus est inversé, au nom du slogan démago "vous êtes formidables"... et avec la bénédiction posthume d'Andy Warhol.

C'est surtout révélateur d'une ridicule déformation d'un individualisme tiré vers le bas. On se dit plus "je suis aussi valable que l'autre, je peux donc parvenir aux mêmes choses", mais "l'autre est aussi nul que moi, donc j'ai droit aux mêmes choses que lui". Lâchez une seule Loana à la télé, et toutes les blondes mono-neuronales du territoire se sentent pousser les ailes de la renommée. Ensuite, rien de plus simple que de les enrôler par académies entières. ça coûte moins cher que de lancer un artiste.

Quitte à assumer, les zélateurs de Trollstory devraient assumer leur statut de mouton. Ou alors en rigoler comme beaucoup, en reconnaissant que c'est de la merde en barre mais que ça leur suffit à l'heure de l'apéro. ça sera plus sain que de planquer ses instincts grégaires et son contentement de peu derrière une version soft et diaphane de la "tolérance" et un rejet maussade des "intellos donneurs de leçons" - pas besoin d'avoir lu Heidegger et Spinoza pour trouver des pingouins qui poussent leur caddie comme on leur dit de le faire.

Marchez au pas, mais au moins mettez une sourdine, le beauf c'est celui qui revendique ses goûts de chiotte. Bref évitez de rougir de fierté quand vous coulez un bronze.

Koozil