Creuser le noir corporate et en faire sortir une lumière, une vérité blafarde sur tous ces suckers.


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6/19/2002

Les Anciens recherchaient le développement parallèle du corps, de
l'intelligence et de la sensibilité. Les humanistes de la Renaissance
professaient que la perfection peut s'atteindre en ajoutant à cette triple
culture la morale du christianisme, et aujourd'hui encore pensent de même
bon nombre d'esprits religieux. Ils se trompent. L'humanisme et le
christianisme des Évangiles constituent deux mondes impénétrables l'un à
l'autre et à jamais séparés. Dans celui-ci, la vie pousse du centre à la
circonférence, du spirituel vers le matériel, du haut vers le bas. Dans
celui-là, au contraire, la croissance a lieu de l'externe vers l'interne, du
concret vers l'abstrait, du sensible vers l'intelligible, qui en constitue
la limite. La culture christique, elle, ne connaît pas de limites; elle nous
développe, certes, mais en nous déracinant du temporel et en nous
transplantant sur l'éternel; elle nous sort de l'existence et nous introduit
dans l'être.

Dans l'humanisme, tout dépend de l'homme et de ses auxiliaires naturels
visibles ou invisibles. Dans le mysticisme, tout dépend de Dieu et de ses
ministres surnaturels; la part de l'homme n'y est que de se rendre réceptif
à la descente divine et, quoi qu'on dise, la perfection de cette réceptivité
exige des efforts surhumains. Les humanistes croient pouvoir conquérir Dieu
et, sur cette croyance fausse, furent construits en Orient les mystères, en
Occident les philosophies du libre examen, les déifications de
l'intelligence et de la volonté. La Chine et l'Inde, Apollonius de Tyane et
Marc-Aurèle, les Illuminés allemands du XVIIIe siècle, Kant, Fichte,
Stendhal, Emerson, Nietzsche, Stirner, les penseurs américains modernes,
tous, avec des nuances diverses, appartiennent à cette école du Moi. Il faut
noter, pour être exact, que le protestantisme et les Rose-Croix, héritant
des théories néoplatoniciennes, essayèrent de concilier l'Évangile avec ce
culte ancien de l'intelligence; ils ont abouti, par cette liberté de pensée
rejetant les dogmes indémontrables, à la multiplication indéfinie des
systèmes et au chaos intellectuel où l'humanité se débat depuis la
Révolution.

Certes, l'homme a le devoir de comprendre l'univers et le droit de mener ses
enquêtes avec indépendance; mais l'orgueil est si fort en lui que, s'il
s'établit le maître de ses examens, il rejette la discipline morale sans
laquelle aucune forme du Vrai ne peut être appréhendée. Croire, comme les
protestants libéraux, qu'en cherchant la vérité d'un coeur sincère on ne
peut pas ne pas la trouver, c'est une illusion; un enfant est sincère en
barbouillant des feuilles, ses dessins n'en sont pas pour cela des
chefs-d'oeuvre. Oui, Dieu aide le savant et le philosophe bien qu'ils ne
s'en doutent pas; mais, pour qu'ils puissent recevoir ce secours et
l'utiliser, il faut qu'ils enlèvent d'eux-mêmes toute erreur vivante, il
faut qu'ils suppriment leurs vices, il faut que d'abord, ils deviennent
purs.

La Vérité n'est pas une abstraction; elle vit, c'est un être organique;
notre intelligence n'est pas un mécanisme indépendant, c'est un organe mêlé
à d'autres organes corporels ou spirituels; aussi, quel que soit le visage
de l'Absolu qu'on désire contempler, nous devons nous mettre au travail avec
toutes nos forces ensemble.
Recevoir cet Absolu est une tâche impossible à tout être construit de
relativités, vivant dans le relatif, pensant par relations. Toutes les
créatures, y compris l'homme, végètent au sein de cette impuissance
fondamentale; et le simple renversement des obstacles que notre nature
oppose à la descente divine demande une intrépidité, une ténacité très
supérieures au total des énergies diverses que dépenserait un adolescent
pour devenir à la fois un athlète, un artiste, un savant et un philosophe
[...]

Il faut apprendre à vouloir, commencer à vouloir et persister à vouloir
jusqu'au dernier souffle. Il faut une recomposition de toutes nos activités
enfin, concordant chacune avec le rayon éternel à qui notre ferveur ouvre
une issue parmi les nuages de notre conscience.


Sédir