Je suis au Nell's (...) avec Craig Mc Dermott et Alex Taylor (...) et trois mannequins de chez Elite : Libby, Daisy et Caron. Libby est blonde (...). Daisy, encore plus blonde (...). Caron, blonde platinée (...). Deux d'entre elles portent des lunettes Giorgio Armani. (...) La nuit dernière, j'ai rêvé que je baisais des filles en carton, dans une lumière de film porno. (...) Aucun de nous ne veut rester là, seul avec les filles, car, si nous ne refuserions sans doute pas de les baiser, il est acquis que nous ne voulons pas, ne pouvons pas parler avec elles, pas même du bout des lèvres - elles n'ont rien à dire et, bon, je sais que cela ne devrait pas nous surprendre, mais ça n'en demeure pas moins assez déconcertant. (...) Je contemple les trois mannequins pendant un temps effroyable, plusieurs minutes, avant d'ouvrir la bouche (...). Daisy m'observe avec circonspection, puis, arrondissant les lèvres dans ma direction, souffle sa fumée vers ma tête, et la fumée s'étale et flotte dans mes cheveux (...).Une autre, Libby, (...) est en train d'essayer de comprendre comment déplier sa serviette. Mon degré de frustration est remarquablement faible, mais les choses pourraient être pires. Après tout, ce pourraient être des Anglaises, et nous pourrions être en train de boire... du thé (...).
-Où est passé Greg ? demande Libby, remarquant l'absence de Mc Dermott.
-Eh bien, Gorbatchev est en bas, dis-je. Mc Dermott, Greg, doit signer un traité de paix avec lui, entre les Etats-Unis et la Russie." Je m'interromps pour observer sa réaction. "C'est Mc Dermott qui est derrière la glasnost, vous savez."
-Ah bon... ouais, fait-elle, d'une voix monstrueusement atone, hochant la tête. Mais, il m'a dit qu'il était dans les affaires, dans les... infusions d'entreprises.
"Je ne vous ai pas mis dans la gêne, n'est-ce pas ?"
-Non, dit-elle, haussant les épaules. Pas vraiment.
-Gorbatchev n'est pas en bas, déclare subitement Caron.
-Vous avez menti ? fait Daisy en souriant.
Je me dis: au secours. "Oui. Caron a raison. Gorbatchev n'est pas en bas. Il est au Tunnel. Excusez-moi. (...)
Du Champagne, dis-je à la serveuse. Avec, mmmm-mmm, du schnaps à la pêche. (...)"
La serveuse hoche la tête, écrit, s'en va, et j'observe son cul qui s'éloigne, avant de revenir à mes trois mannequins, les examinant très attentivement, une à une, cherchant à déceler le moindre signe, la moindre lueur qui pourrait leur échapper, éclairer fugacement leur visage, le moindre geste qui pourrait trahir ce comportement de robot, mais (...) mon espoir se révèle parfaitement vain.
Libby, soupirant, fixant son verre de champagne: il me faut une nouvelle fourrure.
Daisy, de la même voix atone: Longue, ou à la cheville ?
Caron: Ou une étole ?
Libby, réfléchissant intensément: soit longue soit... J'ai vu une sortie de bal courte, très douce...
(...)
Taylor: Dis-moi, je rêve, ou... c'est une vraie conversation que j'entends là ?
Moi, avec un sourire crispé: Eh bien, ça en tient lieu, j'imagine. Mais chut... Ecoute, c'est riche d'enseignements.
Ce soir, au bar à sushi, Mc Dermott, à bout de frustration, a demandé aux filles si elles pouvaient citer une des neuf planètes. Libby et Caron ont trouvé la lune. Daisy n'était pas très sûre d'elle, mais elle a finalement trouvé... la Comète. Daisy croyait que la Comète était le nom d'une planète. Ahuris, Mc Dermott, Taylor et moi lui avons assuré que c'était bien le cas. (...)
Posez moi une question, dis-je, me sentant soudain à l'aise, communicatif.
Elle tire sur sa cigarette, souffle la fumée "Qu'est-ce que vous faites ?"
-Qu'est-ce que je fais, à votre avis ? fais-je d'un air gamin.
-Mannequin ? Elle hausse les épaules. Comédien ?
-Non. C'est flatteur, mais ça n'est pas cela.
-Alors ?
-Je m'occupe, disons, de meurtres, d'exécutions, essentiellement. Cela dépend. Je hausse les épaules.
-Ça vous plaît ? demande-t-elle sans se troubler.
-Mmm... cela dépend des fois. Pourquoi ?" Je prends une cuillerée de sorbet.
-Eh bien, la plupart des types de ma connaissance qui s'occupent de rachats et de fusions d'entreprises n'aiment pas vraiment leur travail, dit-elle.
-Ça n'est pas ce que je vous ai dit, fais-je avec un sourire crispé, vidant mon J&B. Oh, laissez tomber.
Bret Easton Ellis / American Psycho
samplé par Louis-Marie de Chaunac / French Schizo
Creuser le noir corporate et en faire sortir une lumière, une vérité blafarde sur tous ces suckers.