Déjà pères… et toujours sans repère.
Processus contre-nature : la hype s’auto-reproduit. Après le recyclage, et avant le clonage, l’auto-reproduction. Extension du domaine de l’ennui. Patrick Williams, dernier homme nihiliste du 20ème siècle, voit le pire se réaliser. Trop tard, inutile de convoquer Kafka, la tendance devient réalité : les hypeux trentenaires kiffent la vie en se prenant pour des démiurges, rien que ça.
Comme on dit dans les canards branchés, «Problème» : quand le hypeux quadragénaire tentera d’expliquer à son rejeton le sens de la vie, que lui dira-t-il ? Lui murmurera-t-il, le regard ému, les lèvres tremblantes, qu’avoir un enfant «c’est donner du sens à sa vie dans une société qui n’en offre plus» ? Trouve toi une femme quand tu seras un homme, petit, et pondez-nous une chiée de lardons. Tu verras, ça sera «un champ d’expériences de vie inédites». En attendant, achète toi un sampler.
Dernière tentative de réenchantement du monde post-humaniste, la sacralisation du lien père-enfant sonne comme un concept étrangement creux. Comme si on s’était contenté de déplacer un problème fondamental, sans vraiment chercher à le poser. Incapacité chronique à remettre en question une bonne fois pour toutes l’infantilisation de nos vies, cette démarche «par défaut» semble répondre sur le mode tragi-comique à la question ironique de Pascal Bruckner : «le bébé est-il l’avenir de l’homme ?».
L’idée nous laisse songeurs, mais elle donnera du grain à moudre aux chercheurs de l’école maffesolienne : désormais la «socialité», cette logique de l’affect, tend à devenir définitivement organique, au sens propre – et en un paradoxe qui n’est qu’apparent. Marre d’être un électron libre errant au hasard des tribus et des réseaux éphémères ? Marre d’être une particule élémentaire qui essaie vainement de faire de sa vie une œuvre d’art ? Devient papa, bricole ta micro-socialité sur mesure, invente-toi une aventure dont tu seras le héros privilégié… Un scénario idéal pour le prochain film de Cédric Klapish. Au secours.
Citant le paysan allemand Peter Sloterdijk, le philosophe libanais Philippe Nassif – habituellement mieux inspiré lorsqu’il s’essaie au diagnostic post-humaniste – nous invite à «penser avec le soleil qui se lève». Mouais… pourquoi pas… et attendons l’ami Ricoré… Ou relisons Sloterdijk, qui pose dans son Essai d’intoxication volontaire une autre question, de celles que nous n’osons plus aborder, de peur de nous retrouver en eaux profondes : comment sortir de l’enfance, comment devenir adulte alors même que nous n’avons plus rien à hériter de nos parents ?
Penser «les commencements et non plus seulement les fins», imaginer «de nouveaux futurs»… oui, et bien plus encore. Poser le défi en ces termes, oui, trois fois oui. Et ouvrir les yeux : dans les trois derniers événements hype où j’ai traîné, de sympathiques petits bambins s’éclataient sur le dance-floor. Panoplie GAP-Nike-H&M, de parfaites caricatures, ils ressemblaient comme deux gouttes de Redbull à leur papa. Euh… On avait dit «nouveaux futurs » ?
Creuser le noir corporate et en faire sortir une lumière, une vérité blafarde sur tous ces suckers.