Creuser le noir corporate et en faire sortir une lumière, une vérité blafarde sur tous ces suckers.


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La hype comme fascisme atrophié ? Le parallèle est osé, mais les critères communs sont troublants : culte de la personnalité (le fasciste célèbre le culte du chef, le hypeux célébre le culte de soi), suprématie d’une caste sur toutes les autres (la hype se définit comme une élite, et le plus triste est qu’elle y croit parfois), et terreur morale (diktat de la tendance, du buzz et de l’absolue nécessité de rester hype) sont présents dans les deux phénomènes (toutes proportions gardées, et nonobstant l’horreur de l’un et le ridicule de l’autre).

On parle du « diktat de la mode », on ne croit pas si bien dire.

Le hypeux est la version chromée toute-option de l’homo festivus de Muray, qui ne fonctionne qu’à l’affect et au ressenti. Un individu jouisseur mais inconséquent, dont l’unique culte vise sa propre personnalité narcissique, encouragé par tout un fatras médiatique et publicitaire, quelques théories sur le nouvel hédonisme sauce Hakim Bey, le néo-dandysme creux de quelques bobos de chaîne cryptée, la jouissance de l’instant présent, et les thèses sur le retour du dionysiaque. On glorifie l’instinct, quel qu’il soit.

Mais loin de libérer les instincts animaux du petit occidental consumériste, ce fade hédonisme narcissique actuel n'est qu'un papier cadeau qui emballe la standardisation de l'individu. On professe l’unique pour le niveler. "Vous êtes libres, vous êtes formidables, « we can be heroes », scandent les publicités, et ces conneries d’ouvrages sur le « développement personnel ». Négation de l'effort, négation de la rigueur, glorification du contentement de peu, et suprématie du caprice sur le labeur (inversion ironique de la phrase de Cioran) sont des slogans à destination de volailles qui se sentent libres parce que la pub leur a dit qu'elles l'étaient. Mais toutes consomment à peu de choses près les mêmes produits, argumentent selon les mêmes stéréotypes, toutes sont « follement originales », et dramatiquement conformistes.

Ce crétin de hypeux moderne croit donc évoluer dans un « village global » ludique, une sorte de Disneyland géant, entre des simulacres de cultures réïfiées et vendues sous cellophane, et des produits de consommation dont la collecte éternelle ne vise qu’à combler son vide existentiel (« quel meuble me définit le mieux ? Quelle sortie ne pas rater ce mois-ci ?»), et ne déplore que l’obscénité du quotidien.

Dans cette optique, la hype est une des expression la plus aboutie du tribalisme. Ce communautarisme fait un grand retour dans toutes les composantes de la société, et la petite élite médiatico-branchouille n’échappe pas au phénomène. Maffesoli a redéfini le concept de « tribus », de micro-castes sociales postmodernes, rassemblant les individus dans de nouveaux cercles depuis l’effondrement du modèle familial et la faillite des comportements de classe.

Qu’il soit appliqué aux modes de vies (night-clubbing, dresscodes, voyages…) , ou aux tendances sexuelles, le tribalisme est l'élément de rattachement, la nouvelle norme de proximité. Et on le clame haut et fort, quitte à adopter ainsi un comportement de mouton crétin. Cette revendication n’est plus celle d’une « réalisation », mais d’une « appartenance » : on est original, différent, en ce qu’on ne fait pas partie des moutons de la tribu d'en face. On est "clubber" ? Cool, au moins on regarde pas TF1. On lit Nova ? Au moins ne lit-on pas Management. C’est une dialectique aussi simpliste que ça. Une dialectique de l’opposition, de la définition négative. Bref, du vent.

On se concentre sur tous ceux auxquels on ne ressemble pas, en occultant tous ceux desquels on est un parfait clone.

La tribu est du reste rapidement récupérée par les publicitaires comme argument de vente. C’est un élément de rattachement providentiel pour les responsables marketing, qui n’ont qu’à la traduire en créneau commercial. L’amitié de Ferré se résume à quelques textos qui permettent de « garder le contact avec sa tribu » (blip ! blip !) ; et Jean-No erre entre növö-situs post-deleuziens et skaters de la Courneuve… La tribu n’est qu’un miroir, un environnement immédiat qui légitime le culte de soi, le rend crédible, plausible, « naturel ».

La hype est un affligeant troupeau d’individus-extrêmement-originaux- intéressants-et-cools. Un conglomérat de personnalités autocélébrées.

Si le fascisme, c’est la multitude vouant un culte immodéré à une seule personne, la hype est la multitude de cultes personnels immodérés.

Les historiens seront évidemment moins sévères, mais ils n’ont pas fini de se marrer.