Creuser le noir corporate et en faire sortir une lumière, une vérité blafarde sur tous ces suckers.


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La Hype aussi adore réécrire l'Histoire. Regardez bien autour de vous pour savoir qui figurera dans l'anthologie "Underground" qu'écrira le rejeton de Bizot (ou son clone, on ne lâche pas une rente de situation), dans quelques 25 ans. Essayez de dépister quelles seront les icônes de ce qui sera un "âge d'or révolu" de plus.

Lire les soixante-huitards est un bonheur. A les croire, tout ce qui s'est fait courant 1968 relève de l'héroïc fantasy (et bien sûr depuis cette époque bénie des dieux, où l'on allait de libérations sexuelles en émancipations sociales, tout n'a été que trahisons et renoncements). On sourit en les voyant mettre en scène une révolte à la fois prolétaire et intellectuelle, populaire et inspirée. Sachez jeunes cons actuels qu'en 1968, tout ouvrier était un situationniste. On trouvait des Isou et des Debord dans chaque cellule syndicale, voyons. Sachez que tout étudiant ressentait extrêmement cruellement les injustices de son époque (surtout les plus impliqués d'entre eux, probablement tous SDF). La France n'était alors emplie que de poètes radicaux et de révolutionnaires bohèmes, dirait-on. Occultons donc le fait que la révolte en question était, comme tout mouvement social, essentiellement grégaire - que les raisons qui l'ont provoquées aient été bonnes ou mauvaises, peu importe. (Elles étaient sans doute bonnes, dommages qu'elles aient été si galvaudées à l'époque, et trahies ensuite). Occultons le fait que les leaders étudiants étaient surtout des politiciens en herbe, qu'on retrouve à bien des postes trés trés intéressants depuis. Occultons surtout le ton paternaliste avec lequel ils assènent un "au moins avons-nous tenté quelque chose de grand", comme leurs propres parents leur assénaient leur expérience de la guerre. Occultons. La Révolution a avorté. Le foetus a explosé en heurtant le bitume, mais ça n'a pas empêché les "activistes" de l'époque d'essayer de l'embaumer maladroitement, de l'ériger en Kaaba sacro-sainte, et d'exiger la circumambulation recueillie des générations suivantes.

Vinrent les punks. Ah, encore une icône difficilement détronable, celle-ci. La rebellion punk, la prise de conscience "no future" et de l'impasse post-moderne. Encore une fois, sachez que n'importe quel outre à bière, fringuée comme Johnny Rotten et promenant ses foirages récurrents et son clébard déplumé, souffrait de douleurs existentielles innommables lorsqu'il se penchait sur la condition humaine et l'état du monde. Ne parlez pas d'asociaux ou de supporters de foot demeurés, évitez donc ce genre de clichés qui vous déshonorent, voyons ; il s'agissait de Baudelaire et de Verlaine, simplement ils avaient chaussé des rangers. Patrick Eudeline se plaît à décrire les bagarres de sa jeunesse, qui prennent alors des allures d'affrontements épiques et underground, conditionnant sans aucun doute l'avenir du rock - et donc du monde, pour-les-siècles-des-siècles-amen. Là encore pratiquons l'amalgame, mélangeons quelques penseurs et artistes géniaux avec le skin de caniveau.

Quelle que soit l'époque, les quelques traits de génie qu'elle émet sont toujours rapidement noyés dans le nombre et écrasés par la réaction. Ce n'est que plus tard qu'on les ressucite, et qu'on les transforme totalement artificiellement en jaillissements violents, vivants et fédérateurs. Les ex-soixante-huitards tiennent aujourd'hui les salles de rédac, et les ex-punks vendent leurs albums chez Virgin. Non pas qu'on y voit le moindre mal, après tout, mais croire qu'il s'agit d'anciens enragés et de vétérans des grandes luttes sociales ou artistiques est tout simplement trop grotesque.

Il était diablement subversif de sortir picoler aux Bains, ou au Palace. Quel club les remplace ? Pas besoin de s'interroger. D'une part parce qu'on s'en fout éperdument, et d'autre part parce que, de toutes façons, on le déterminera tôt ou tard une fois que ceux qui s'arsouillent aujourd'hui auront intégré je ne sais quelle rédaction ou poste à clef. Et le cortège de nuits qu'on y aura passées seront érigées en parenthèses temporelles interlopes, débauchées et subversives.

Il est à craindre que bien des soixante-huitards n'aient été que des moutons, que bien des punks n'aient été que des bourrins. Ce qui garantit aux moutons et aux bourrins d'aujourd'hui une mini-postérité culturelle quasi-sacrée. On se remémorera religieusement les excès des années 00, pourtant banales et dramatiques.

Bien sûr, certains sont restés sur le flanc, dégommés par leurs excès de l'époque, ou plus sûrement dégoûtés par les perversions qui ont gangrainé ce en quoi ils ont sincèrement cru. Ils sont sans doute les plus malheureux. Ils sont en tous cas les plus discrets, même s'ils ont su s'élever entretemps.

Alors aujourd'hui, qui sont les futurs gagnants de la loterie hype ? Les rappeurs, paradoxalement alourdis par leur sidérant vide neuronal ? Les clubbers, consommateurs de rebellion pré-formatée et d'extasy frelatés ? Ou peut-être ces cons de rollers du vendredi soir, tiens. Regardez autour de vous, en club. Vous vivez une époque formidable, il se trouvera toujours un historien du vide pour la transformer en conte de fées dans 20 ans.

ça se trouve, Faltot deviendra un Jean Meyran 2000.