Creuser le noir corporate et en faire sortir une lumière, une vérité blafarde sur tous ces suckers.


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4/09/2003


"Curieusement, les soirées se poursuivaient. L'indifférence de
masse semblait toujours à l'oeuvre, et les premiers meurtres, horribles,
furent plus un sujet de conversation parmi d'autres qu'une réelle
psychose. Il y avait bien eu quelques journalistes pour
s'insurger contre la pérennité de ce marivaudage mondain, face
à l'horreur des actes commis. Quelques personnes furent
vaguement soupçonnées, mais personne n'y croyait. Le fait
divers était tellement étranger à la formidable aventure culturelle
que pensait vivre la hype, vous n'y songiez pas ! Puisque tout
était simulacre, cette irruption de la réalité la plus sordide au
beau milieu des petits "milieux", ne fut pas interprétée
autrement. Quelques chroniqueurs judiciaires se sont étonnées
de cette première et historique banalisation du crime. Pas de
réprobation sociale, pour la première fois. Des articles louant
l'initiative. Des enquêtes classées sans suite. Des détaillants en
outillage comblés.

Et c'est là que ça a déraillé : le phénomène s'est retourné. De
plus en plus on a cautionné le truc. Des sociologues ont décrit
le phénomène, s'appuyant sur les trois premiers meurtres, en
soulignant le rituel, et ont de facto justifié le geste. Le crime est
apparu comme quelque chose de "possible", personne n'a
contesté cette concrétisation du Glamorama de BEE. Pas la
peine de préciser que les crimes se sont multipliés. On a même
noté quelques tentatives de suicide déguisées en crime : une
DJ en perte de vitesse et un organisateur de soirées en manque
de fonds se déséspéraient ainsi de ne pas figurer sur la liste
des victimes potentielles. La reconnaissance ultime : le crime
sadique comme bénédiction hype.

Toute l'horreur de la chose s'exprimait clairement : pour tromper
l'ennui cosmique qui terrassait cette petite élite
artistico-modeuse, certains commencèrent à organiser des
paris, mais surtout, surtout, la plupart en étaient venus à
souhaiter être la prochaine victime. La boucherie devenait un
label de branchitude absolue, en même temps qu'une libération
personnelle. C'est là qu'ont circulé les premiers courriers
anonymes, désignant tel DJ, tel designer, tel artiste de rue, tel
écrivain, comme une cible souhaitée et souhaitable. Tout le
monde savait que la cible en question était elle-même à l'origine
du courrier. La délation était tournée uniquement vers soi, une
caution de plus au massacre qui débutait sous les yeux
incrédules des pouvoirs publics.

Y a-t-il crime si la victime se
place elle-même devant le canon ?"

In "Bienvenue à Hypol", Christian Ford, Éd. Léo Chirdé,
Collection "Bernanos aimait les Treets" - 2014 (idea courtesy of Jean-Yes).