Creuser le noir corporate et en faire sortir une lumière, une vérité blafarde sur tous ces suckers.


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Et vous, fous lucides, tabétiques, cancéreux, méningitiques
chroniques, vous êtes des incompris. Il y a un point en vous que nul
médecin ne comprendra jamais, et c'est ce point pour moi qui vous
sauve et vous rend augustes, purs, merveilleux : vous êtes hors la
vie, vous êtes au-dessus de la vie, vous avez des maux que l'homme
ordinaire ne connaît pas, vous dépassez le niveau normal et c'est de
quoi les hommes vous tiennent rigueur ; vous empoisonnez leur
quiétude, vous êtes des dissolvants de leur stabilité. Vous avez
d'irrépressibles douleurs dont l'essence est d'être inadaptable à
aucun état connu, inajustable dans les mots. Vous avez des douleurs
répétées et fuyantes, des douleurs insolubles, des douleurs hors de
la pensée, des douleurs qui ne sont ni dans le corps ni dans l'âme,
mais qui tiennent de tous les deux. Et moi, je participe à vos maux,
et je vous le demande : qui oserait nous mesurer le calmant ? Au nom
de quelle clarté supérieure, âme à nous-mêmes, nous qui sommes à la
racine même de la connaissance et de la clarté. Et cela, de par nos
instances, de par notre insistance à souffrir. Nous que la douleur a
fait voyager dans notre âme à la recherche d'une place de calme où
s'accrocher, à la recherche de la stabilité dans le mal comme les
autres dans le bien. Nous ne sommes pas fous, nous sommes de
merveilleux médecins, nous connaissons le dosage de l'âme, de la
sensibilité, de la moelle, de la pensée. Il faut nous laisser la
paix, il faut laisser la paix aux malades, nous ne demandons rien aux
hommes, nous ne leur demandons que le soulagement de nos maux. Nous
avons bien évalué notre vie, nous savons ce qu'elle comporte de
restrictions en face des autres, et surtout en face de nous-mêmes.
Nous savons à quel avachissement consenti, à quel renoncement de nous-
même, à quelles paralysies de subtilités notre mal chaque jour nous
oblige. Nous ne nous suicidons pas tout de suite. En attendant qu'on
nous foute la paix.

Antonin Artaud