Creuser le noir corporate et en faire sortir une lumière, une vérité blafarde sur tous ces suckers.


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9/15/2003



"L'INSENSÉ À L'ÈRE NUMÉRIQUE"

"Il n'y a pas quelque chose à voir, mais rien. Donner son consentement à ce
rien exige un effort infini, pour déjouer l'interprétation, une ascèse
contre le sensé." Jean-François Lyotard, Flora danica, Galilée,1997

Ambivalence: la perte de sens ne va pas sans une demande infinie de sens.
Partout, dans les médias et les discussions privées, on ne cesse de nous
parler de la perte du sens et des valeurs, de la fracture des liens sociaux,
de la fin des grands récits, de l'achèvement de la philosophie et de l'art,
de la mort de dieu et du sacré.

C'est à présent dans un colloque universitaire qu'on demande, interpelle,
exige peut-être, de "créer du sens à l'ère numérique". Mais que se cache
derrière cette injonction du sens commun (doxa) ? N'est-ce pas l'art
(numérique par exemple) qui est conçu comme porteur de sens? De sens
avez-vous dit : le dévoilement de la vérité par le vrai?

Mais à l'ère du numérique, sur le réseau, il y a peut-être un surplus plutôt
qu'un manque de sens ; il y a peut-être trop de sens,du sens déjà créé, dans
nos arborescences et dans nos bases de données. Trop de sens intentionnels
du designer qui veut communiquer, faire passer un message. Trop de sens dans nos existences que nous tissons de toutes les justifications. Si les
publicitaires créent effectivement du sens, les artistes doivent-ils
emboîter le pas?

Peut-être serait-il temps de:

1/ Revoir, sélectionner, choisir, trier, analyser le sens disponible et non pas chercher à créer obligatoirement encore du sens (en trop) ou un méta-langage de navigation.

2/ Laisser sa place à l'insensé c'est-à-dire au reste, à ce qui ne fait pas
objet de partage préalable, à ce qui est à la limite de l'insensible.On
pourrait parler de différend ou d'une attention accordée à la pauvreté de
phénomènes minimes.

3/ Exposer les stratégies esthétiques des oeuvres numériques qui laissent une
place au nouveau, c'est-à-dire à ce qui n'est pas (encore) du sens.

4/ Confronter la certitude qui accompagne le sens-comme-valeur à la
situation interactive où l'oeuvre se réalise dans un a posteriori qui n'est
plus critique mais performatif.

Grégory Chatonsky