Creuser le noir corporate et en faire sortir une lumière, une vérité blafarde sur tous ces suckers.


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View on Fashion…

Dans un cadre froid, genre camp militaire vert pastel et barbelés, défilait ce week-end une très amusante faune composée de pingouins à paillettes, et de strass-poufs dont il est manifeste qu’elles se livrent à une compétition acharnée pour afficher la tenue LA PLUS LAIDE, le maquillage LE PLUS CRIARD, et les accessoires LES PLUS BEAUFS. La rentrée de la hype est à la hauteur de ce qu’on en attendait : aussi bariolée et grande gueule que l’an dernier. Les lunettes de soleil pare-balles, avec les quatre putain de brillants au coin du verre légèrement fumé, la tonne de gel coiffant sur la gueule, des sacs-à-main immondes dont la plus loufoque des acariâtres grandes bourgeoises du XVIe ne voudrait pas, quelques coupes brit-pop quand même ( où le sperme et la crasse remplacent le gel, mais c’est plus tendance et ça coûte moins cher). Pas de mannequin, ou alors les habituels skeletors anorexiques semi-cocaïnées qui sont nécessaires à toute soirée hype qui se respecte, au même titre que les quelques molosses à oreillettes qui gardent l’entrée (au cas, improbable, où les sauvageons qui squattent habituellement la station de taxi à Bastille voudraient pénétrer ce sanctuaire gavé de modasses – ben voyons, et la DCA, elle est sur le toit ?)

Des vestes étriquées, des chemises couleur vomi, extirpées de la garde-robe seventies de papa, (du moins j’espère), des bas-résilles qui font penser aux filets de pêche utilisés pour les thons (et manifestement, certains sont restés prisonniers dedans)… et des tronches, un bonheur, des tronches de consanguins fatigués, pseudo-originaux multicolores, « choix de matières high-tech et style urbain-bohème », un troupeau de pique-assiettes capitalisant seulement sur le fait que ce qui compte, ce n’est pas ce qu’ils font, mais QUI ils ont croisé ce soir et de QUI ils parleront demain.

Une gueule de mongol atavique, ça aide à marquer les esprits, d’ailleurs. Un œil de vache narcoleptique + une allure de folle endimanchée, et boum, on entre partout. Si en plus on connaît vaguement le sourire de Lolita Pille, les circonflexes de « Crazy Chocolat » ou la tronche d’Alexandra Senes, en avant-vant sur les petits fours, la coke et les conversations concaves à propos du bronzage de l’une et du divorce de l’autre. C’est bien pensé.

La jet set, en moins friqué, en fait. On sent bien que tout ce petit monde se voudrait jouissif, décadent et outrancier, mais c’est surtout poussif, fatiguant et putassier ; ça manque de subversion comme de fric, bref ça rame comme c’est pas permis. Ni jet-setteur faute de flouze, ni subversif par manque de recul, le « hipster » vit dans l’instant, et l’instant est tout le temps le même. Une répétition permanente des mêmes gestes, et des mêmes propos. Une boucle temporelle, sauf que Kissoon porte des lunettes Gucci.

Quelques journalistes perdus barbotent au milieu des D.A. à la mode, des R.P. au chômage, des « entertainers » mondains ou des webgraphistes démotivés. Ils se regroupent dans les coins pour picoler en se foutant plus ou moins de la gueule de l’escouade de clowns qui se donne en spectacle, dans l’espoir j’imagine de choper une des blondes à col glacé qui tournent en orbite devant le buffet (genre, moi je suis pas superficiel, moi).

Le magasin est un concept-store, et rien que le nom je m’éclate. En gros, et comme tout concept-store qui se respecte, on retrouve la blancheur clinique des magasins de fringues branchés, à ceci près qu’ici on ne vend pas de la merde espagnole ou taiwanaise au beauf moyen, mais de la maille onéreuse, de l’accessoire hors de prix, et au beauf supérieur.

Règle d’or : pas plus de 5 articles dans une pièce qui en contiendrait pourtant 500.

Non pas qu’on veuille ainsi se démarquer des supermarchés H&M-Gap-Zara-Kookaï et manifester sa défiance envers « la grande distribution, le consumérisme matérialiste occidental, la standardisation des modes », ou ce genre de tarte-à-la-crème néo-situ qu’il est il est de bon ton de mentionner entre branchés. On ne tient pas non plus à faire profiter le visiteur d’un de ces « espaces néo-zen minimalistes apaisant et favorisant la circulation magnétique des fluides énergétiques dans l’espace », même si ça fait très bien dans le dossier de presse… Non, c’est plus simple : le fait est que si 2 paires de baskets griffées, 4 treillis de marque ou 3 jupes-pétasses se battent en duel au milieu du bloc opératoire, ils prennent beaucoup de valeur. Mais alors beaucoup. Sans compter qu’il s’agit de produits de CRÉATEURS (« pour jeune adulte et femme active »), attention. (Faut voir les créations, c’est en effet très conceptuel). Des enceintes crachent une house filtrée ultra-rabachée, celle qui colle la nausée et donne mal aux dents. Bref le concept-store, sans oublier le coin «fashion press » (échange de bon procédé).

De toutes façons tout le monde s’en branle : ce qui intéresse, comme partout, c’est le bar et le buffet. Et là manque de pot, PLUS D’ALCOOL au bout de deux heures trente. L’inévitable se produit alors : échec total du concept-store, ils peuvent mettre la clef sous la porte, de-qui-se-moque-t-on-bordel, y a plus rien à BÔWAR.

Migration progressive des hypeux vers d’autres sphères pailletées, chatoyantes, et mortellement chiantes. Rideau, fin de la première représentation d’un spectacle qui en comptera une multitude jusqu’à l’été prochain.

"Une vue sur la mode", c'est à peu près ça finalement. Bien pensé, le nom.