Creuser le noir corporate et en faire sortir une lumière, une vérité blafarde sur tous ces suckers.


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Cancer!, ou Les Leucémiques À Bout de Souffle, se sont fendus d'une nouvelle coulée logorrhéeuse à propos du dossier "Crevards" de Technikart. Ils ont l’air de s’ennuyer entre deux sondages sur Nabe, alors allons-y de notre propre logorrhée.

On parcourt rapidement ladite coulée ; celle-ci reprend un passage de Dantec (les parasites parasitent toujours, lamproies naines et myopes collées au fion de quelques auteurs), puis ramène le dossier de Tech à une glorification de l'ultra-libéralisme vampirique, dissimulant une auto-justification « anarchiste » des bobos par eux-mêmes. Le numéro de Technikart ne serait qu’un thé au miel servi par des branchés aux branchés (possible), et les "crevards" dépeints ne seraient donc que des bourgeois désoeuvrés qui se donnent une caution rebelle en foutant le bazar aux cocktails (bam, raté). Bref, les Herpésiens tenaient manifestement à y aller de leur tirade sur ce nouveau phénomène micro-sociologique qui assure les ventes depuis deux ou trois ans, qu’on appelle ça le « dandysme de masse », les « intellos précaires », les « crevards », voire le « néo-punk » (terme moins affiné, plus Nova Mag). Dommage, ils se plantent encore : il ne s’agit pas pour le crevard « d’écraser l’autre » (d’ailleurs on cherche ces victimes atrocement mutilées par quelques hirondelles de cocktails), mais de se glisser dans les « interstices » des milieux, en cédant tant qu'à faire le moins possible à l’assistanat social intégral ou à un certain esclavagisme économique devenu normatif.

Un slalom pas très constructif, ni révolutionnaire ni conservateur, peu identifié, peu identifiable mais plutôt sain. Mais non, le Bubonique veut y voir une utilisation des fondamentaux prédateurs ultra-libéraux. Venant de la part de quelques obscurs gratteux à bretelles et cigare intégrés, salonnards imberbes qui prennent inlassablement ces poses d'artistes maudits pour, en définitive, parvenir à séduire quelques étudiantes en Lettres attirées par ce genre d'outrance (allez quoi, au fond personne n’est dupe), cette tirade est plutôt savoureuse. Il leur importait manifestement de venir clamer leur différence par rapport à un épiphénomène qui de toutes façons ne semblait pas tellement les concerner. Tant qu’à catégoriser, feu : le « crevard » rigole, le cancériste trépigne.

Le « crevard » recouvre une réalité multiple, à la fois bien plus sérieuse et bien moins triste que ne semble le croire Bédéhèle, qui voit surtout là une occasion de revenir chatouiller les fesses de Nassif en espérant sans doute que ce dernier se fende d’un nouvel article bancal sur sa revue de crustacés.

Après la citation de Dantec, citant lui-même de très modernes passages de Léon Bloy sur les mondains, le Cancéreux embraye sur sa lecture du texte (évidemment la meilleure) pour en inférer que Technikart offre une « éthique » à « son crevard », comprenez un alibi politique et même artistique à son technobeauf de lecteur. Or, peu importe ce que retiendra de ce dossier l’attachée de presse de Jalouse ou le RP du Pulp, (qui aimaient déjà le revival punk, c’est dire). Peu importe, parce que le phénomène demeure, et il dépasse le petit train de cases préconçues qui fait office de raisonnement chez le Sclérosé.

Celui-ci couine en effet son refrain dégoulinant de populisme sur le "véritable Pauvre" (la majuscule est édifiante, mais tout rmiste tombant sur cet article apprécierait à sa juste mesure une telle marque de déférence). Ce « véritable Pauvre », qu'une mauvaise foi galopante fait comparer au « crevard », ne lit ni Technikart ni Cancer. Bédéhèle est sans doute victime des amalgames opérés dans son magazine préféré, on ne peut lui tenir rigueur sur ce point, tout le monde ne dispose pas d’un recul suffisant à la lecture de la presse branchée. Encore que la comparaison entre crevards et dandies ne me paraissait ni équivoque, ni devoir faire intervenir l'idée de misère. Le crevard, s’il est plutôt précaire, ne prétend pas trop être un « Pauvre » (j'emprunte sa laudative majuscule au Variolé). Pas mal de crevards ont une idée précise de la pauvreté, mais n’estiment pas en relever. D’autres y sont incontestablement confrontés. Mais en tous cas ils se passent d’un tel raccourci. J’ai plutôt eu l’impression que le petit phénomène « crevard », comme l’idée des intellos précaires, dépassait le cadre étriqué d’une représentation binaire de la « lutte des classes ». C’est le kaléïdoscope des situations, la variété des trajectoires qui en fait l’intérêt. Si l’amalgame était envisageable, les "crevards" ne me semblent pourtant pas avoir revendiqué l’étiquette du « Pauvre en 2003 ».

On note encore l’émouvant descriptif de son quotidien par le plumitif lui-même (pâtes au beurre et bière forte). Quotidien dont la bohème n’est pourtant pas absente, et tant mieux. Il est heureux qu’il ne se compare pas non plus à cet archétypal « Pauvre », qui a mieux à faire qu’aller se secouer la nouille à des perfs de Costes. J'aurais voulu lui envoyer un chèque de soutien - chacun ses oeuvres. J'ai failli, et puis je me suis dit qu'en principe, le mécénat, ça s'adresse aux artistes.

Donc Bédéhèle repart pour un mois de pâtes au beurre, tant pis. Du reste, j’ignore et me contrefout de l’origine sociale et du niveau de vie, réels ou revendiqués, du Tuberculeux « aux souliers trempés » : la médiocrité transcende les partitions sociales sur lesquelles il focalise, comme il tend à le démontrer. (Et à force de lire du Céline sous la pluie, pas étonnant que ses pompes fatiguent).

Le Mononucléosé voit de la rombière bourgeoise partout : aux dîners mondains de l’ouest parisien, mais aussi au free-parties de supermarché. Ça tourne à l’obsession. Certes, l’apologie du larcin et du voleur serait complètement imbécile, mais le crevard qui resquille à l’entrée d’une soirée Nokia et siffle tout le mousseux en est-il un ? Que Technikart y assimile stupidement le vol à l’étalage dans les supermarchés est hâtif et inexact. Qu’un Bubonique s’en serve pour bafouiller son habituel ressentiment, voilà qui fait sourire. Qu'il en tire ses conclusions sur la moralité desdits crevards est plus génant. Quitte à ronchonner, il aurait peut-être pu rappeler que la chapardeuse de Monoprix, l’ouvrier smicard et le crevard rmiste sont tous trois dans la même situation face à une oppression désincarnée qui ne bénéficie qu’à une éternelle et très restreinte élite véritablement « bourgeoise ». Non, Bédéhèle préfère ériger des « fortifications » entre tous ces gens, histoire de montrer son indignation « à tous les passants ».

Le Syphilitique rejoint d’ailleurs l’article du Playmobil Gallimard dans Libération : même surprenant complexe de supériorité lorsqu'il mettent en doute l'érudition du "crevard" moyen. Une pétition de principe d’une imbécillité planétaire qui doit se vérifier, ni plus ni moins, chez les lecteurs de la production de l'Emphysémique aléatoirement distribuée dans quelques librairies. Mais il fallait sans doute qu'il rappelle par là qu'entre deux plats de pâtes au beurre, et pendant que le crevard siffle du champagne qui n'est donc pas pour lui puisqu'il n'est ni un vrai Pauvre, ni un faux nanti, le Leucémique LIT, lui. Grand bien lui fasse, il lui reste maintenant à COMPRENDRE. Et à imaginer qu’on peut lire sans name-dropper ensuite.

On note encore ce goût de l'Ordre, dont l'épine dorsale affleure de loin en loin à la surface du marais où pataugent ces snipers bidibulles : le crevard, en zappant la billetterie du Cabaret et en bouffant des canapés destinés à Ariel Wizman ou aux clients de Sony, ferait preuve de la plus immonde des « crapuleries ». Splendide échelle de valeurs, on songe à Démocratie Libérale, voir Familles de France, tant les connotations morales de ce lamentable paragraphe sont caricaturales. Une « crapulerie » ! L’abandon de toute « probité » ! Que fait la police ? Là encore, s'ériger en moraliste dessert surtout le moraliste lui-même, qui sombre dans le ridicule. On sent presque les fondements de la totiété libérale vaciller sous les monstrueux coups de boutoirs portés contre elle par les pique-assiettes des soirées Ricard, sans aucun doute… (ce qui devrait d’ailleurs pourtant réjouir la bande de brêles qui applaudissait le strike du 11 septembre. Laissons, une pâte au beurre a dû mal passer).

Le Panariste reconnaît ensuite au crevard un "capital culturel" lui permettant de se rincer à l'oeil, contredisant sa précédente affirmation. On se félicite plutôt qu'en cette époque de Staracadémiciens, un capital culturel puisse encore fournir une quelconque rente. Mais selon Bédéhèle, c'est encore une usurpation, son Pauvre ne disposant apparemment lui d'aucun "capital culturel", ce qui est sans doute encore assez expéditif... Joliesse à laquelle succède une autre usuelle et galopante connerie : le crevard ne "joue" les galériens, ne se "pare de l'accoutrement du miséreux" que pour séduire son monde. (ah oui, il veut « en être »). Un tel cynisme n'est pourtant pas de mise, et on a envie de faire lire l'article à certains crevards qui partagent bon gré mal gré l'affection de Bédéhèle pour les pâtes au beurre, histoire qu'eux aussi se marrent devant tant d'inanité. Il n’est certes pas douteux que d'opportunistes branchés, clones hype, phraseurs de cocktails, adopteront ce comportement pour se donner une contenance mondaine destroy, mais que l’Hépatique se rassure : on les repère au premier coup d’œil.

Suit enfin une galerie de portraits assez fade. On lit que TH méritait mieux que le tableau brossé par Nassif. Drôle de conclusion après avoir voulu taper sur le crevard. Au moins TH n'a-t-il pas servi de faire-valoir aux Cancéristes, comme le sont bien des auteurs ignorants des frasques de ces jeunes charmants qui singent leurs ruades stylistiques et s’égosillent en silence.

Un point est vrai ; pas mal de crevards tentent « d’éviter les cons ». Ceux qui auront lu le machin de Bédéhèle auront raté leur coup.